L'avenir est aux organismes sui generis
Depuis Cro-Magnon, souvent au prix d'à-coups ou de
régressions, l'organisation sociale se perfectionne sans
cesse - de la tribu à l'Etat-Nation, du groupe de chasseurs
à l'entreprise, de la relation directe aux relais multiples,
du cercle intime au réseau ouvert, du banal accord au
partenariat élaboré... Aujourd'hui, certains changements
organisationnels sont déroutants car ils remettent en
cause d'anciennes catégories ou leurs frontières,
telles ces segmentations souvent binaires qui opposaient
concurrent et partenaire, client et fournisseur, marchand et
non marchand, usager et administration, privé et public,
micro et macro, national et international... Ces classements
structurent encore fortement notre vision du monde, bien que
devenus inadaptés à une réalité
beaucoup plus nuancée, dont ils nous empêchent
souvent de prendre la mesure ou de saisir les opportunités.
Ainsi, d'intéressants dispositifs sui generis
ont un potentiel qui reste sous-employé, tant qu'on les
réduit à des schémas familiers, trop rustiques.
Défini strictement, l'organisme sui generis, de
son propre genre, est celui qui échappe aux catégories
existantes, qui a des caractéristiques n'appartenant
qu'à son espèce. Ainsi, quand les sociétés
Agfa (allemande) et Gevaert (belge) ont voulu fusionner, il
y a un demi-siècle, le statut de société
européenne n'existait pas. Elles ont alors constitué
deux filiales jumelles (même capital, mêmes organes
sociaux, même management), Agfa-Gevaert en Allemagne et
Gevaert-Agfa en Belgique : pour fonder de facto une entité
unique et multinationale, il a fallu de jure quatre structures
régies par deux droits nationaux. Ni société
européenne, ni groupe national, c'est un dispositif sui
generis.
Défini plus largement, par extension, c'est un organisme
qui, en se construisant, transforme les éléments
dont il est issu, qui s'auto-génère,
comme le fait une fédération ayant "la compétence
de sa compétence" : elle transforme ses membres en décidant
des prérogatives qu'ils doivent lui transférer.
Certains, "doublement sui generis", répondent
aux deux définitions, comme les réseaux assembleurs
par lesquels des entreprises co-innovent ou co-inventent une
offre (n° 140).
Ou comme le dispositif institutionnel européen, à
la fois modèle d'intelligence institutionnelle... et
révélateur des limites de celle-ci quand les acteurs
en perçoivent mal la nature ou les enjeux. Quand, à
la limite, certains réduisent ce modèle évolué
à un schéma simple, pyramidal, inter-étatique...
et l'abordent comme tel. S'ils ne connaissent qu'un outil, le
marteau, donnez-leur un iPhone et ils s'en serviront
pour planter des clous. Nous y reviendrons. Mais d'abord, comment
en est-on arrivé là ?
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