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3 - Le brouillard insidieux de
la pensée unique
Raisonner "fluide" n'est pas une démarche contre nature.
Au contraire, c'est du bon sens élémentaire. Mais
c'est contre culture pour nos esprits étroitement
conditionnés par le raisonnement "solide", auquel s'ajoute
une pratique désormais bien enracinée de la pensée
unique. Laissons un DG imaginaire l'illustrer : "Pour piloter
notre projet Innovation 2012, le consultant préconise
le choix d'une personnalité originale. Je pense à
Pignon : il porte des jeans différents des nôtres,
son 4x4 urbain noir n'est pas comme nos gris, il a souvent des
appareils électroniques atypiques..." Où est l'erreur
? Certes, l'exemple est caricatural et porte sur des choix subalternes.
Mais ce qu'il traduit est transposable : la fantaisie est attendue
sur un autre regard, une distance permettant de
voir ou faire autre chose et l'interprétation du
DG n'a aucun rapport avec ce qui est en cause. Pire, on ne
remarque même pas ce décalage (n° 112,
115).
Pignon adapte des détails, mais il porte l'uniforme.
Trop embrumé dans la pensée unique pour simplement
réaliser qu'il y a un uniforme, le DG est convaincu qu'il
suit le consultant... pour qui innover suppose qu'on envisage
autre chose que l'uniforme. "C'est le fameux 3e
degré, incompréhensible pour ceux qui sont très
fiers de comprendre le 2e. Et qui croient que tout
ce qui n'est pas au 2e degré est au 1er...
Il ne faut pas donner du 3e degré alors qu'ils
n'en sont qu'au 2e. Il faut d'abord les amuser et
ensuite seulement, très lentement, très progressivement,
les intriguer puis leur ouvrir de nouveaux horizons" (Bernard
Werber).
Selon Vladimir Volkoff, "il ne semble pas que le monde ait
jamais connu un politiquement correct aussi omniprésent,
aussi insidieux, aussi triomphant que le nôtre... Il débine
toutes les vérités quelles qu'elles soient et
n'en met pas d'autre à la place... ne se fonde pas sur
une révélation, mais sur l'impossibilité
de toute révélation... qu'il cherche à
imposer universellement par divers moyens : la persuasion, la
logomachie, l'intimidation, la pratique de la conspiration du
silence sur les opinions divergentes... (Il faut) le combattre
sur ses terrains de prédilection :
- la pensée, qui ne doit pas être unique ;
- la langue, qui ne doit être faite ni de bois, ni de
coton ;
- la compassion, qui ne doit pas virer à la sensiblerie
;
- les media, qui ne doivent pas se laisser asservir par les
annonceurs et les démagogues.
Le politiquement correct est ennemi aussi bien de la vérité,
qui, jusqu'à ce jour, a été l'objectif
déclaré de la connaissance humaine, que du
doute, qui en a été le fidèle instrument
: c'est donc par l'amour de la vérité et par le
goût du doute, travaillant ensemble à la façon
d'un couple en mécanique, qu'il faut chercher à
retrouver cette liberté de pensée qui fut
la nôtre et dont il ne suffit pas de déplorer la
perte".
Combattre la pensée unique, réhabiliter l'esprit
critique, restaurer la responsabilité... Les enjeux sont
vitaux en termes d'épanouissement des personnes et de
progrès de civilisation. A l'heure du développement
durable, ils sont cruciaux pour les entreprises et institutions,
qui ont à relever le défi de l'innovation par
et pour l'efficacité collective. Dans notre société
complexe, ni l'exploit isolé du petit génie ou
du super-patron, ni le pas cadencé de troupeaux de clones
anesthésiés ne peuvent produire cette efficacité,
qui dépend de synergies à réaliser entre
des personnalités diverses, des fonctions multiples,
des disciplines plurielles. Si cette société
de l'intelligence "fluide, différenciée et
connectée" fait peur à ceux qui raisonnent "solide,
uniforme et cloisonné", elle est riche de potentiels
infinis, accessibles par l'ouverture et l'autonomie dans l'interdépendance.
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> Entreprise et société, du solide au
fluide : 4 modèles...
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