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J. Bové, P. de Villiers et L. Fabius ont raison
: le premier quand il dit que la mondialisation est une affaire
sérieuse qu'on ne peut laisser évoluer sans chercher
à l'influencer ; le second quand il dit que cette volonté
d'influence relève d'une souveraineté que nous
devons affirmer ; le troisième quand il dit que cette
souveraineté ne s'affirmera que si les intéressés
s'expriment. Tous trois ont tort : ce n'est pas en faisant le
contraire de ce qu'on dit qu'on arrive à ses fins, sauf
si ses fins ne sont pas ce qu'on dit.
En effet la mondialisation est une tendance lourde
aux impacts profonds. Mais alors pourquoi torpiller toute tentative
d'organisation destinée à faire que les évolutions
soient moins subies et plus choisies ? Certes, on peut se doter
d'une organisation plus ou moins "libérale" ou "sociale"
(... ou autre, car il faut aussi dépasser cette
alternative manichéenne forgée au XIXè
siècle, dans un contexte bien différent de l'actuel
!). Bien sûr, il faut faire des choix, mais ce n'est
possible que dans un cadre organisé : pour jouer, il
faut avoir défini le jeu. Rejeter toute tentative d'organisation
du cadre conduit tout simplement à empêcher les
intéressés de prendre part au jeu. C'est choisir
l'anarchie. Comme tout autre, ce choix est respectable. Mais
il faut annoncer la couleur, arrêter de dire "il faut
protéger les agneaux contre les loups" et en même
temps tirer à vue sur toute bergerie qui se bâtit,
sous prétexte que la construction en cours reste vulnérable
aux loups. Vaut-il mieux construire puis améliorer, ou
laisser le loup libre de ses mouvements ? Quel que soit le nom
qu'on lui donne - finance dévoyée, trafic de drogue,
mafias, terrorisme ou autre criminalité organisée
- Bové a tort de crier au loup en faisant tout
pour lui laisser le champ libre.
En effet la souveraineté doit s'exercer,
tant face à ces loups que face aux risques écologiques
et autres manifestations de la complexité du monde actuel,
ou surtout face à ses extraordinaires opportunités,
qui semblent ne pas intéresser nos Cassandre. Mais elle
ne peut s'exercer qu'au niveau pertinent, c'est à dire
celui où se posent les problèmes. Le département
ou l'Etat sont des niveaux pertinents pour certains problèmes,
l'Europe ou le monde pour d'autres. Pour ces derniers, qui est
souverain sur quoi ? L'ère de la Guerre froide
était un jeu de leadership régulé
par 2 superpuissances. Nous sommes sortis de cette ère,
une des puissances a disparu... mais l'autre est toujours là,
ainsi que le jeu, qu'elle est seule à "réguler"
(au sens hiérarchique, pas au sens systémique).
Dans le monde, beaucoup voudraient entrer dans un jeu de partnership
et attendent de l'Europe qu'elle l'anime... mais certains Européens
l'en empêchent, lui déniant - donc se déniant
à eux-mêmes - toute souveraineté en la matière.
On marche sur la tête ! Le comble est que certains le
font sous couleur de "souverainisme". Qu'ils se rassurent :
la fenêtre de tir du partnership européen
durera peu et, si l'inertie se prolonge, les puissances asiatiques
ne tarderont pas à prendre la main. En attendant, Villiers
nous invite à faire à la Maison blanche un cadeau
que celle-ci ne se prive pas de savourer.
En effet les intéressés doivent
participer à ces choix : choix du jeu, choix du type
de régulation, choix des acteurs de la régulation...
Churchill l'a bien dit, la démocratie est le pire des
régimes à l'exception de tous les autres. Ce système
a l'avantage de permettre la prise en compte des différents
points de vue. Est-il loyal d'affirmer que, comme dans le pâté
où l'on mélange différentes espèces,
en l'occurrence un éléphant et une vingtaine d'alouettes,
seul l'éléphant français a voix au chapitre,
pas les alouettes européennes qui veulent se doter solidairement
des moyens d'exister et de compter dans le jeu ?
Non seulement Fabius l'affirme, mais il prétend nous
faire croire que, dans ce jeu illusoire, nous serions dans cette
position de force !
Erreurs ou impostures, qu'ils se trompent ou qu'ils nous trompent,
le résultat est le même. La démagogie est
la pire ennemie de la démocratie, la pédagogie
sa meilleure alliée. Cette dernière est cruellement
absente par les temps qui courent...
Depuis l'invention de la démocratie, qui est le souverain
? C'est "le peuple citoyen". Mais certains croient encore que
c'est "le chef" - qu'on l'appelle roi, président, lider
maximo ou autre. Dans nos sociétés évoluées,
ce peuple citoyen ne se limite plus aux électeurs mais
s'élargit à ce qu'on appelle la société
civile ; quant au jeu démocratique, ne se limitant
plus aux élections, il passe par des formes de plus en
plus diversifiées ; et pour ne rien simplifier, une partie
de ce jeu relève de l'ordre mondial - même quand
c'est plutôt un désordre. Ces évolutions
ne sont pas du goût de ceux qui voudraient jouer au chef.
Est-ce une raison pour les laisser dire et faire n'importe quoi
?
Si - surtout s'agissant des entreprises - la société
civile ne tient pas toujours son rang, dans les débats
comme dans les actes, c'est en partie parce qu'elle n'est pas
toujours consciente de son identité, voire de son existence,
donc de son rôle... Lire
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Depuis longtemps, les rapports gouvernants-gouvernés
ne se réduisent plus à une relation hiérarchique,
comme quand le souverain était un roi ou autre chef.
En décrétant que le souverain était le
peuple, la démocratie a compliqué les choses ;
elle a introduit la dimension contractuelle, notamment
en instituant un mandat à durée déterminée,
pour assurer la représentation de ce corps social atomisé.
Puis ce souverain s'est diversifié, en s'élargissant
à la société civile organisée, et
la gouvernance a développé une dimension partenariale
où administrateurs et administrés doivent travailler
ensemble et appréhender à la fois leurs
enjeux et contraintes propres et ceux qui leur sont communs.
Malgré de tels changements, on continue à entretenir
la fiction simpliste d'un univers régi par des
décideurs politiques, comme si l'on était
dans un jeu rudimentaire où un chef décide, donc
comme si tout se jouait lors de son élection... Lire
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