En France, le lobbying est mal aimé et surtout mal
connu. A peine commençait-on à l'accepter, dans
ses formes traditionnelles, qu'il faut le considérer
sous un jour nouveau.
Découverte tardive, notion mal ancrée dans les
mentalités, le lobbying n'a pas la cote en France. Pourquoi
? La réponse est en partie institutionnelle et culturelle.
Depuis mille ans, on a tout fait pour créer puis consolider
un Etat-Nation homogène, fort, centralisé... et
soudain les dieux sont tombés sur la tête. Les
uns, de Jean Monnet à Valéry Giscard d'Estaing,
ont ouvert le jeu vers l'Europe ; d'autres, de Gaston Defferre
à Jean-Pierre Raffarin, ont ouvert la boîte de
Pandore de la décentralisation ! Quand on s'est persuadé
pendant dix siècles que, seule autorité légitime,
l'Etat sait tout et peut tout, il faut plus que quelques semaines
pour adopter une vision plus nuancée d'une réalité
plus complexe.
Divers greffons idéologiques se sont installés
sur ce socle capétien. Ainsi, royalistes s'accommodant
d'un monarque républicain et de son appareil d'Etat,
bien des Français attendent encore de ce souverain qu'il
garantisse et pérennise l'ordre établi, en référence
à la notion mythique d'Intérêt Général.
Une conception réductrice du pouvoir et des Pouvoirs
veut qu'à cette vénérable idole, qu'incarnent
l'Etat et ses représentants, s'opposent de vils
intérêts particuliers, économiques ou militants.
Comment concevoir que, pour une majorité d'étrangers,
l'intérêt général combine
de multiples intérêts... et bien d'autres choses,
comme une culture commune et un vouloir vivre collectif
?
Dans la tradition française, les sujets impurs et leurs
petits intérêts doivent se soumettre aux serviteurs
zélés du noble Intérêt Général.
Quand ces derniers légifèrent sur les couches-culottes,
les fabricants ou utilisateurs de ce produit seraient suspects
s'ils proposaient leur éclairage, n'ayant d'autre légitimité
que celle de l'expérience ! Et voilà qu'à
Bruxelles prévaut une conception inverse : on ne réglemente
qu'après avoir entendu, en toute transparence, ceux qui
produisent, distribuent, utilisent ou recyclent les couches-culottes
; leur lobbying fait partie du processus législatif.
Puis, à la fin des années 1980, l'impensable s'est
produit : un gouvernement français, qui plus est de
gauche, a déclaré que le lobbying n'était
pas honteux et il a incité les acteurs privés
à le pratiquer. Si l'Etat le dit...
Les choses évoluent lentement. Heureusement, ce lobbying
que nous avons trop peu pratiqué n'était qu'une
étape intermédiaire, la dernière de l'ère
que nous quittons, avant la version beaucoup plus élaborée
qui se met en place... et que cette fois nous avons tout intérêt
à ne pas négliger (n° 20,
89,
99).
C'est le passage de l'ère du gouvernement,
où une autorité décide, à celle
de la gouvernance, où des partenaires s'ajustent.
Avec pour corollaire un changement de nature du lobbying
: il ne s'agit plus simplement d'exercer une influence sur
des processus qui s'inscrivent dans des champs préalablement
définis (réglementation, normalisation, représentations
collectives...), mais d'assurer une présence active
dans des processus encore plus complexes, voire même
d'inventer ces processus (cf. encadré
2, encadré 3).
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