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2 - La pratique : Colbert résiste
Par analogie, l'opposition cluster-Colbert s'applique
à bien d'autres domaines que celui du développement
local.
En créant le Commissariat au Plan, Jean Monnet voulait
un bâtiment sans bureaux (car ils n'hébergent que
des gens qui savent ou qui administrent), mais
disposant de nombreuses salles de réunion, pour multiplier
les rencontres et échanges entre interlocuteurs de tous
horizons. En créant le Centre de Recherches et d'Etudes
des Chefs d'Entreprise (CRC) avec Gaston Berger, André
Gros et quelques autres, Georges Villiers voulait un espace
ouvert de réflexion et de liaison avec les autres composantes
de la société. S'inscrivant dans notre modèle
cluster, en rupture avec le modèle en vigueur,
ces visionnaires jouaient la gouvernance avant l'heure.
A l'inverse, fermer le jeu en le recentrant sur des experts,
chargés de remettre des études à un décideur
central, ramène en arrière vers le modèle
Colbert - et l'institutionnalisation du processus ne
peut que renforcer sa dérive courtisane. Il faudrait
s'interroger sur les finalités et sur les modes de fonctionnement
d'institutions comme le Plan (devenu Centre d'Analyse Stratégique),
le Conseil Economique et Social ou tous leurs petits frères
: l'évolution qui les coule dans le moule du Conseil
d'Analyse Economique du Premier Ministre est-elle cohérente
avec les changements de la société et les besoins
de la gouvernance (sans même parler des problèmes
de redondance entre toutes ces structures) ? La question se
pose d'autant plus au vu des résultats, quand rien ne
bouge même si, au nom de ces instances, les meilleurs
experts osent dire que le roi est nu - cf. tous les excellents
rapports produits depuis des décennies, avec pour seuls
effets l'encombrement des bibliothèques, la gloire des
auteurs ou la légitimation de l'immobilisme des dirigeants
au prix de réformettes, plans cosmétiques et mesures
ponctuelles.
Il est temps de revoir la méthode. Si la structure de
ces Conseils du Roy date de la monarchie, leur fonctionnement
est hérité de la société industrielle
: approche technocratique, experte, spécialisée...
Le Plan de Monnet était autrement plus moderne ! Il mettait
en synergie les expériences et réflexions des
diverses forces vives de la société, mais surtout
leurs légitimités, dans des démarches
ouvertes et concertées. Il est temps de revenir à
cette inspiration, selon des modalités adaptées
à notre époque.
De même dans le cas du CRC, car ces problématiques
sont aussi celles de la société civile. Lors de
sa création, peu après la Guerre, il a été
le premier think tank du monde patronal, concept totalement
nouveau ; puis il a essaimé et aujourd'hui de tels réservoirs
d'idées prolifèrent... mais ils fonctionnent dans
le système Colbert qui, par construction, bride
leur efficacité. Là aussi, le problème
doit être repris autrement.
Plus généralement, c'est la problématique
centrale de tout décideur (cf. encadré
4) : comment articuler entre elles les diverses composantes
de son système global ? On n'y répondra
pas en quelques lignes, d'autant que chacun doit personnaliser
sa réponse. Mais une chose est certaine : dans le jeu
cluster, les réponses Colbert ne marchent
pas plus pour les entreprises, institutions et corps intermédiaires
que pour les autorités publiques. Et c'est dès
l'école, particulièrement dans l'enseignement
supérieur, que se pose la question-clé : il faudrait
commencer par comprendre le jeu dans lequel on joue.
Jean-Pierre Quentin
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