L'attitude adulte est d'employer l'avenir au
pluriel puisqu'il n'est que l'éventail des futurs possibles
qu'annoncent les heurts et les convergences des plans d'innombrables
acteurs, les gouvernements, la presse, les partis politiques,
les grandes entreprises, les peuples, les scientifiques, les
prophètes, les écrivains et les artistes
Certes, je pressens des tendances lourdes... des continuités...
mais aussi des risques de rupture... Aussi l'avenir doit-il
être le domaine de la prospective, une prospective qui
va au-delà de la prévision, qui reste en deçà
de l'histoire et qui ne se conçoit que comme réflexion
préparatoire à l'action.
Par routine, la prévision a souvent
sombré dans l'extrapolation superficielle. De ce carcan,
la prospective tente de la libérer, en décrivant
les futurs possibles à partir des projets qu'élaborent
les acteurs au sein d'un système global. L'ambition est
aussi nécessaire que démesurée. Nécessaire,
puisque c'est la prise en compte simultanée de la globalité
et des acteurs qui permet de comprendre la genèse des
images du futur. Démesurée car elle oblige à
compléter les relations dures de la science par des liaisons
conjecturales et que toute équipe de prospective ne peut
dès lors échapper à la subjectivité
que lui imposent sa composition, ses origines et l'institution
qui l'abrite.
Ici, la prospective rejoint l'histoire, dans
son désir insensé de restituer aux hommes du présent
les avenirs potentiels que ce présent contient en germe...
Aussi, la démarche prospective se sépare-t-elle
difficilement d'une volonté d'action ; qu'elle cherche
à éclairer ou à influencer un quelconque
décideur ou qu'elle s'adresse à un groupe social
anonyme pour l'inciter, en modifiant ses comportements, à
modifier son avenir...
Evitons-nous le ridicule d'oublier les défis
qu'ont affrontés nos pères et les cataclysmes
qui ont englouti des rameaux entiers de civilisation. Mais acceptons
de reconnaître lucidement la spécificité
des nôtres. Pour les assumer. Car, de notre réponse,
dépendront, dans une certaine mesure, les angoisses et
les espérances de ceux qui nous succéderont.
Jacques LESOURNE, Les Mille Sentiers
de l'avenir, Seghers 1981
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