Que l'on soit étudiant ou enseignant,
employé ou chef à plumes, producteur ou consommateur,
auteur ou lecteur... on est incité à se reposer
sur toutes sortes de salutaires routines destinées
à automatiser ce qui peut l'être, à systématiser
ce qui doit l'être, à faciliter le travail, à
ouvrir le jeu, etc. : techniques de résolution de problèmes,
mode de calcul de ceci, technique de négociation de cela,
mode d'emploi des touches dites simplifiées de ce fichu
téléphone, technique de lecture rapide... C'est
aussi un moyen de se mettre en état de se dépasser,
comme les gammes ou l'échauffement musculaire dont l'automatisme
permet au musicien ou au sportif de consacrer l'essentiel de
ses ressources mentales à de nouveaux progrès.
Toutes ces techniques sont de précieux
auxiliaires, à condition d'être prises pour ce
qu'elles sont, c'est à dire des moyens au service de
l'accomplissement d'une tâche - ce qu'oublient ceux qui
prennent le manuel de procédure pour la Bible et la technique
pour une fin en soi. Un autre oubli fréquent, en ces
temps où l'on affecte de se reposer sur la technique
réputée infaillible (elle devient alors surtout
déresponsabilisante), c'est la méthode,
sorte d'échelon intermédiaire entre les techniques
(simples moyens) et le résultat attendu (finalité).
Même sophistiquées, les techniques ne sont que
des recettes à appliquer, alors que la méthode
est une démarche de l'esprit consistant à classer,
sélectionner et ordonner des idées pour effectuer
une tâche avec ordre, logique et cohérence (n°
94). On peut tomber dans la routine quand
on utilise une technique, car on reproduit un cheminement
préétabli ; pas quand on met en uvre une
méthode, car on construit un cheminement mental
- ce qui n'interdit ni à l'une ni à l'autre d'utiliser
des routines (point précédent) !
Si l'on faisait confiance à l'intelligence
humaine, une technique ne serait jamais employée sans
référence à la méthode qui la sous-tend.
Et c'est l'absence de ce lien qui permet d'appliquer
bêtement les techniques, qui fait qu'on peut les déconnecter
de leurs finalités - comme dans le cas des ronds-points
à l'anglaise (cf. encadré)...
ou de bien des techniques managériales. Ainsi, toute
tâche effectuée sur ou avec de l'information peut
passer par des techniques mais doit se référer
à une méthode. Ou plutôt devrait,
à en juger par le nombre de techniques sans queue ni
tête qui oublient des éléments essentiels
ou font des détours inutiles et polluants.
La méthode s'inscrit dans des cadres souvent simples
- comme toute solution élégante (n°
114) - telles les bonnes vieilles matrices cartésiennes
dont on ne vantera jamais assez les mérites. Leur rigueur
bestiale (routines) est apparemment un défi à
la fantaisie (critique), alors qu'en réalité
elles structurent un socle solide sur lequel l'imagination peut
prendre appui... Gardons l'exemple des tâches sur ou avec
l'information. Une des matrices de base va croiser ce que, par
souci de clarté, on nommera étapes et processus
: les 3 étapes élémentaires de la
cybernétique (acquisition, traitement et exploitation)
et les 3 processus élémentaires applicables
en toute circonstance (observation, réflexion et cadrage
de l'action) - cf. schéma (rappelons d'une part que cette
matrice n'est pas une fin en soi, d'autre part qu'elle devra
s'articuler avec d'autres, dans un souci de cohérence
avec les finalités de l'opération envisagée).
On est bien dans la méthode, et non simplement dans l'application
d'une technique, à en juger par quelques phases de son
déroulement :
- expliciter ce qu'on attend de la démarche
: ratisser large, associer des indicateurs ou des clignotants
à une check-list...
- identifier des lignes et colonnes
pertinentes (en elles-mêmes) - ainsi, dans notre
exemple, les processus sont souvent ramenés de
3 à 2 (voire même à 1 !), ce qui
fausse tout raisonnement qu'on construira sur ces bases
: observation et action pour l'impulsif à
courte vue, réflexion et action pour le
théoricien déconnecté du terrain...
- valider la pertinence de leur croisement -
sans développer ici, notons qu'il apparaît
ainsi que, bien au-delà des besoins évidents,
l'acquisition d'information doit être élargie
au vu des croisements 1A, 1B, 1C...
- exploiter aussi les sommes, voire les
produits, des lignes, des colonnes...
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Quand les situations sont particulièrement
complexes, cette combinaison de routines simples dans
une construction logique peut prendre des formes plus
élaborées, comme celle qu'illustre la Molécule
(cf. encadré).
En bref, une technique qui ne s'appuie
pas explicitement sur la méthode qui la sous-tend
comporte au moins deux dangers : son manque de rigueur
(probable) et sa non-maîtrise (certaine) par un
utilisateur servile ; de plus, celui-ci est incité
à perdre de vue les finalités de son action,
quand au contraire la méthode nous y ramène
en permanence.
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>>> Techniques,
méthode... et responsabilité
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