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1 - Voir loin, large, profond
Comme pour un myope sans lunettes dans le brouillard,
la première difficulté est qu'on voudrait une
vision panoramique nette alors qu'il faut se contenter de données
proches et floues. Non seulement on a peu de certitudes sur
ce que sera demain, mais les matériaux proposés
sont plus souvent calés sur l'horizon de la mode que
sur celui de mouvements de long terme : quel crédit accorder
à des "tendances" parfois folkloriques, souvent
éphémères, rarement signifiantes - du ludique
au multi-brandé en passant par le spirituel
ou le techno-inside ? Les charmes de la mode, incontestables
pour les articles de luxe, sont moins évidents quand
il s'agit d'éclairer une décision importante.
Un choix d'orientation scolaire est lourd d'enjeux pour nos
enfants, sur une période très longue, mais on
le fait souvent en référence au monde que nous
connaissons plus qu'à celui dans lequel ils vivront.
Effectuer un recrutement, investir dans un atelier ou financer
la conquête d'un marché, là aussi des enjeux
lourds et lointains sont traités à partir de réponses
souvent courtes et approximatives aux questions essentielles
comme : demain, quels produits ou services vendra-t-on, à
qui, par quels types de filières commerciales, soutenues
par quelles formes de communication, démarches publicitaires
ou autres ? Même chose dans la sphère publique
pour les choix de priorités politiques, ou dans les organisations
professionnelles et autres associations pour la définition
de leurs orientations stratégiques.
Souvent, on se raccroche faute de mieux à
des tendances qui manquent non seulement de longueur, mais de
profondeur et d'épaisseur, même si elles s'autoproclament
"lourdes". Elles sont surtout joyeusement "tirées
d'un chapeau" (pourquoi le convergent cette semaine,
le plus mobile le mois prochain ou le paradoxal
l'an dernier ?) et grossièrement mélangées,
notamment entre niveaux différents : on met sur le même
plan des méta-tendances et des courants faibles, exactement
comme si l'on assimilait l'autoroute et l'allée du jardin,
ou le fleuve et le filet du robinet. Ainsi, quel que soit le
nom qu'on lui donne, on peut raisonnablement identifier comme
méta-tendance la notion de combinatoire ou de
métissage, désignant l'émergence
d'une entité nouvelle à partir d'une conjonction
originale d'éléments intrinsèquement différents.
Nos ci-devant multi-brandé, convergent
et autres techno-inside, ne sont que des traductions
ou des déclinaisons de cette méta-tendance, éventuellement
associée à d'autres (partenariat, médiation,
personnalisation...), de même que par exemple l'interopérabilité
en sera une traduction opérationnelle. Il faut donc commencer
par mettre de l'ordre et préciser le cadre méthodologique
- faute de quoi on ne manquera pas de tout mélanger,
de traiter des effets comme s'ils étaient des causes,
avec tous les désordres liés à ces approximations
[voir encadré].
Vision longue, vision profonde, mais aussi vision large : rappelons
qu'un regard sur l'avenir ne peut faire l'économie de
décloisonnements de toutes natures, entre champs de connaissance
et de compétence (approches pluri- et trans-disciplinaires),
entre méthodes (transversalités) ou entre acteurs
(interculturalités et processus coopératifs).
[n° 98,
117]
Suite
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