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2 - Temps, énergie, information
Ces paradoxes sont liés à des "tendances
postindustrielles" qui affectent en profondeur notre relation
au temps, à l'énergie ou à l'information.
On n'insistera pas ici sur ces tendances, en se bornant à
rappeler que c'est à cause d'elles que nous sommes condamnés
à cultiver certains talents - anticipation, créativité,
décloisonnement, mobilité, intelligence collective...
Par contre on s'intéressera à la possibilité
de jeter un "autre regard" sur leurs interactions,
en pondérant autrement les valeurs qu'on peut leur attribuer
dans le "triangle magique" (cf.
encadré).
Par exemple, il n'y a pas de fatalité à ce qu'on
aborde le changement en référence à la
logique de "l'homme pressé énergivorace",
particulièrement si cette logique est aussi économiquement
inefficace qu'humainement destructrice. Ainsi, au moment où
la France essaie de digérer les lois sur les 35 heures,
changement contre-tendanciel par excellence (parce qu'uniforme,
imposé d'en haut, etc.), certains de nos voisins européens
s'intéressent de plus en plus à la notion de slobbies
(slower but better working people) - consistant à
prendre un peu plus de temps pour faire la même chose,
et même mieux, dans des conditions plus agréables.
De quoi faire rêver ceux qui stressent à essayer
de faire (mal) en 35 heures ce qu'ils faisaient en 39... quitte
à contrarier ceux qui ont empoché la diminution
du temps de travail sans changer leur rythme !
C'est d'ailleurs presque un éloge de la lenteur que
propose E. Abrahamson, prof. de management à Columbia,
dans Change Without Pain : arrêtez de vouloir changer
sans arrêt, avancez à pas comptés, réfléchissez,
regardez autour de vous, discutez, etc. Une thérapie
de choc est toujours un aveu de faiblesse et, pour une entreprise
aussi, la victoire n'est au mieux qu'apparente quand, au lieu
de négocier, on lance des bombes en évitant de
se salir... Préférant le concept de "stabilité
dynamique" à celui de "destruction créatrice"
- ce qui nous paraît aller dans le sens de l'histoire
! - et s'appuyant sur un certain nombre de success stories,
il préconise un certain retour au bon sens dont on pourra
utilement s'inspirer, par exemple dans le redéploiement
des compétences (cf. encadré).
Certes, cela n'a pas le panache des charges à la hussarde...
Devant tant de sagesse, de modération, de détours
par la compréhension de mécanismes plus profonds,
de respect de la personne, certains hommes d'action dénonceront
des élucubrations inutiles et time consuming ;
d'autres y verront la voie royale pour "jouer dans le jeu"
actuel, en renonçant aux gesticulations stériles
dans un jeu qui n'a plus cours. Quand il se référait
à notre propension à adopter une approche cosmétique,
à agir sur les effets au lieu de chercher à comprendre
et à agir sur les causes, Francis Blanche, philosophe
français du XXè siècle, ne se limitait
pas à un savoureux jeu de mots, mais il exprimait bien
un précepte managérial essentiel : "dans
un monde qui bouge, il vaut mieux penser le changement que changer
le pansement".
Jean-Pierre Quentin
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