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1 - Du progrès au changement
Après des siècles marqués par une grande
continuité (demain reproduira aujourd'hui, qui reproduit
hier), rythmés par le temps cyclique (cycles du jour
et de la nuit, de la semaine de travail, des saisons de l'année...),
la société industrielle a introduit une vision
plus dynamique organisée autour du progrès : en
termes quantitatifs (produisons, consommons, accumulons, inventons,
réalisons, etc. aujourd'hui plus qu'hier et moins que
demain) comme en termes qualitatifs (demain sera mieux...).
On est resté dans la continuité, mais le cycle
fermé fait place à une spirale ouverte.
Puis une nouvelle vision (cf. encadré)
s'est imposée avec la société postindustrielle
: après le progrès vient le changement qui, lui,
est en rupture ; après "plus et mieux",
le mot d'ordre devient "autre chose, ailleurs, autrement"
(>> Plus,
mieux, autrement) .
Ce passage du paradigme du progrès à celui
du changement n'est pas anodin. Il ne va pas sans difficultés.
Sur le terrain, bien sûr, parce que les individus et les
groupes sociaux sont attachés à leurs repères
et à leur routine.
Plus fondamentalement, parce qu'on connaît mal les repères
du monde vers lequel s'effectue ce changement, ce qui est anxiogène
: on sait ce qu'on quitte, on ne sait pas ce qu'on va trouver...
Pour ne rien simplifier, on n'est pas conscient de ce décalage
: on croit qu'on veut changer, donc faire "autrement",
mais on garde les références du "plus et
mieux". Les pieds sont déjà dans "demain",
mais la tête se comporte encore comme dans "hier"
(cf. n° 146).
C'est pour ces différentes raisons et quelques autres
que le recours à la prospective est devenu indispensable
pour guider l'action (cf. n° 88,
102,
103,
105,
110,
119,
125,
141).
Dans ces conditions, rien d'étonnant à ce que
la notion de changement s'accompagne de toutes sortes de contradictions.
Ainsi, on aspire confusément au changement tant qu'il
reste général et abstrait, mais on refuse les
changements précis et concrets qui en sont la condition.
Quand l'un d'eux a été imposé par la hiérarchie
ou par le gouvernement, les individus qui en bénéficient
et qui ne voudraient plus revenir en arrière sont les
mêmes qui s'y opposaient hier - ce qui ne les empêchera
pas de résister à la prochaine initiative... Les
promoteurs de changements eux-mêmes n'échappent
pas aux incohérences, par exemple quand, au lieu de préparer
le terrain et dialoguer, ils claironnent que tout va changer,
offrant un chiffon rouge autour duquel peuvent se fédérer
des oppositions qui sinon seraient restées diffuses et
désorganisées. A trop vouloir associer son nom
à une réforme, il n'est pas rare qu'on en compromette
la faisabilité.
En résumé, l'ère du progrès, c'était
l'ouverture de la continuité, le passage du cercle à
la spirale. L'ère du changement, c'est la rupture, on
change de jeu. Avec les secousses telluriques bien compréhensibles
que peut provoquer tout vrai changement au stade de sa mise
en route. D'où l'importance d'amortir ces secousses superficielles
pour préserver le changement profond. Et d'éviter
l'inverse, qui semble être devenu un sport national :
générer les secousses sans engager le changement.
Plus profondément, ces difficultés doivent être
appréciées en relation avec quelques paradoxes
(au moins apparents) qui rendent si délicat l'art du
management en ces temps de changement : il faut penser dans
la durée et agir dans l'instant, penser globalement et
agir localement, penser individuellement et agir collectivement,
etc.
Suite
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