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3 - Changer de références
Dans un univers en mouvement, souvent instable, voire incertain,
la tentation est grande de refuser le changement. Comme elle
l'est pour le cheval de refuser l'obstacle. Ce repli frileux
a le double inconvénient de ne rien résoudre et
d'empêcher d'accéder à de nouveaux développements
et perspectives. Mais l'être humain n'a pas uniquement
des comportements raisonnables. S'il bénéficie
d'un statut, ce qui n'est pas rare chez les Gaulois, il s'y
accrochera contre toute raison pour s'en faire un bouclier contre
l'ouverture et le progrès, même s'il devait être
parmi les premiers à en bénéficier.
Supposée être épargnée par les tentations
corporatistes, réputée pour son aptitude à
affronter le risque, l'entreprise est malgré tout composée
d'hommes, qui ne dérogent pas totalement aux règles
de la culture ambiante. Même s'ils ne cherchent pas refuge
dans un passé virtuellement idyllique mais réellement
révolu, ils n'échappent pas toujours au réflexe
qui fait envisager l'avenir avec les références
du passé. En période de mutation, donc de
rupture, de changement d'état, c'est en général
le meilleur moyen de se tromper : puisqu'on ne sait pas vers
quoi on évolue (il y a tellement d'hypothèses
concevables !), on va continuer à se référer
à ce qu'on quitte - même si la seule certitude
c'est qu'on le quitte...
Ce besoin de certitudes se manifeste notamment dans notre approche
de la connaissance et de la méthode. La connaissance
des marchés de demain suppose une anticipation sur
des évolutions techniques, économiques, sociales
ou culturelles - et plus encore sur les multiples combinaisons
possibles entre ces évolutions qui s'entrecroisent toujours
plus. La connaissance ne relève donc plus simplement
d'une démarche d'expertise (technique ou autre), mais
d'une attitude d'ouverture et de relation, pour aborder
ces combinaisons : c'est moins la connaissance
du "savant" que celle du "chercheur", moins
les certitudes du professeur que les investigations de l'explorateur
ou de l'ethnologue.
Traduction pratique : souvent, alors que le manager voudrait
s'accrocher aux certitudes de techniques managériales
peu ou prou standardisées et infaillibles (les 4 étapes
à suivre, les 6 erreurs à ne pas commettre), on
doit le renvoyer à la méthode (voir
encadré 3),
qui l'oblige à s'impliquer : "la réponse
est en toi !". Il existe bien des réponses complaisantes
en forme de recettes, qui rassurent à court terme mais
ne règlent rien et diffèrent les échéances,
donc aggravent les difficultés : renonçant
à caresser dans le sens du poil et à agiter des
leurres, un coaching honnête suppose une attitude plus
lucide et courageuse que le repli sur la séduction ou
la facilité. Qu'on se rassure, le coach ne devrait pas
en ressentir trop de frustration, car il tire de son activité
de nobles satisfactions, ainsi que quelques joies simples mais
profondes. Comme celle que soulignait G. Guéron à
la fin des années 1970 en invitant l'auteur à
le rejoindre dans cette activité qu'on appelait alors
conseil de synthèse : c'est un réel privilège
de travailler avec des gens qui, du seul fait qu'ils sont avec
vous, s'efforcent de donner le meilleur d'eux-mêmes -
et qui, au fur et à mesure qu'on avance ensemble, s'améliorent
sans cesse ! La confiance est une clé de la relation,
mais en général elle est rapidement acquise...
alors que ce n'est pas toujours vrai dans une démarche
de conseil, et encore moins en cas d'audit.
En définitive, s'il arrive parfois que la démarche
se heurte à des réticences a priori, c'est peut-être
à cause d'un certain conditionnement culturel, notamment
en liaison avec des habitudes héritées d'approches
traditionnelles de la formation (voir encadré
4). Mais une fois ces éventuelles réserves
levées, "l'essayer c'est l'adopter !". De même
quand on associe un volet coaching à une démarche
de formation ou, mieux, de formation-action. La plus-value est
généralement appréciée - tout au
moins par l'apprenant, car du point de vue de certains formateurs,
c'est moins reposant ! De fait, même si c'est très
variable selon les situations et les personnalités accompagnées,
l'exercice fait porter de grandes exigences sur le coach. Alors,
comme se plaît à le répéter un coach
immodeste, faut-il admettre que pendant longtemps encore, il
y aura davantage de coaches que de bons coaches ?
Jean-Pierre Quentin
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