Mutation et effets d'optique(s)
Des représentations mentales conditionnent nos comportements,
jugements et décisions. En bref : je crois faire, aimer
ou choisir ceci plutôt que cela parce que ceci me convient
mieux - alors que ce qui me convient mieux, c'est l'idée
que je m'en fais, à un instant t. On sait
que ces représentations sont incomplètes (car
on ne voit pas tout), déformées par des filtres
ou parasites de l'environnement, altérées par
des tiers (parfois de façon intentionnelle), et même
faussées par nos propres projections - désirs,
angoisses, obsessions. Ce qu'on admet moins facilement, c'est
que bien d'autres distorsions nous échappent, surtout
si elles sont en amont de ce qui retient notre attention.
En amont, donc d'autant plus déterminantes, spécialement
en période de mutation car, de plus, les références
changent... Un remède sans risque d'overdose : la méta-position.
Avez-vous déjà fait le test des dauphins ? Il
illustre à la fois l'importance des représentations
et leur sélectivité. Regardez l'image, que voyez-vous
? Sans
hésiter, un petit enfant voit des dauphins, un adulte
voit un couple enlacé. Le test détermine le degré
d'enracinement des images mentales préalables,
absentes chez le petit enfant : si vous trouvez les 9 dauphins
en plus de 3 secondes, votre esprit est fortement "corrompu"
par des représentations acquises.
Autrement dit, à côté des effets
d'optique, comme les mirages, où l'information que
transmet l'il au cerveau est perturbée par des
éléments extérieurs (topographie, lumière,
etc.), il y a un effet des optiques : une situation
donnée peut s'envisager sous divers angles, ce qui induit
des comportements différents selon l'optique retenue
- par exemple selon qu'on considère une insurrection
comme résistance ou terrorisme.
Cet effet peut jouer au niveau du discours, mais aussi
en amont du discours. Dans le discours, on peut penser
à toute forme courante d'illusion produite par conditionnement
ou manipulation. Exemple caricatural : un bateleur qui fait
admettre que "l'Etat peut bien céder les 450 millions
dus, puisque 400 lui reviendront en arriérés d'impôts"
- inutile ici de démonter ce sophisme simple (mais efficace
!), une reformulation suffit : "on est gagnant en offrant 450
à Tapie, car cela paiera les 400 qu'il doit par ailleurs"
- tu me donnes ta chemise et en échange je prends ton
pantalon (pour des formes plus subtiles, voir notamment n°
92,
97,
101,
108,
112,
115,
136,
147).
Regardons plutôt, en amont du discours, de fausses évidences
qui se manifestent au niveau des paradigmes, et tentons une
analogie : notre perception de la mutation actuelle s'assimile
à celle de l'image du test au sortir de l'enfance. Oublions
un scénario théorique (ne voir que la 2e image),
restent trois hypothèses : ne voir que la 1e image ;
voir la 2e mais conserver les références de la
1e ; voir et traiter distinctement les deux images dans leurs
logiques spécifiques, les combiner sans tout mélanger.
Laissons le premier scénario, certes encore fréquent
(n° 156, va... comme
hier) mais, contrairement au second, facilement décelable
: continuer à se croire dans l'ère industrielle
alors que depuis un demi-siècle on est entré dans
la société de l'information (>> Mutatio),
changeant certains paradigmes et les concepts qui les
sous-tendent (n° 114, complexité
; 116, dématérialisation
; 118, aspirations).
Passons sur le 3e scénario, considéré ici
comme l'objectif à atteindre, moyennant le dépassement
du 2e : on s'intéressera donc surtout à celui-ci,
qui domine aujourd'hui sans qu'on en ait vraiment conscience
et sans qu'on mesure l'importance de sortir de ce porte-à-faux.
Comme auparavant pour prôner la démarche intentionnelle
(n° 144, traquer les
fausses évidences), on esquissera un glossaire
informel de quelques illustrations du phénomène,
évoquées dans de précédents articles.
Démédiatiser : si des instances
de médiation sont en crise, on est souvent tenté
de les court-circuiter, réponse d'hier ; on peut préférer
agir sur les causes de la crise, en entrant dans la logique
de processus complexes (n° 147,
les
pieds ici...).
Déterminisme technologique : un présupposé,
vestige de l'ère industrielle, qui voudrait que l'état
de la technique détermine celui de la société,
alors que ce n'est qu'un des leviers... et, aujourd'hui, pas
le plus critique (n° 122,
les
trois leviers). Même ceux qui le récusent
tombent souvent dans son piège ("comment les TIC vont
changer nos vies..."), qui applique une vision binaire d'hier
(le couple technologie-société) à une réalité
plus complexe et systémique (n° 111,
prospective
et pédagogie).
Incertitude : les certitudes d'hier sont ébranlées,
on cherche celles de demain. Sans voir que le nouveau paradigme
- fin des habitudes, fin des certitudes... - suppose un changement
de cap : renoncer aux certitudes illusoires et savoir composer
avec l'incertitude (n° 102,
structurer
le zapping).
Intelligence collective : on sait qu'une condition
de l'efficacité durable est de travailler ensemble, mais
on cultive l'enseignement ou la gratification de la performance
individuelle à courte vue (n° 142,
contrôler
les niveaux).
Intersectoriel : terme suggérant un métissage
entre secteurs, un décloisonnement. Souvent employé
pour transsectoriel par ceux qui, à l'inverse,
transposent les règles ou pratiques d'un secteur
vers un autre, en préservant le cloisonnement.
On a besoin d'assembleurs mais on n'a que des courtiers (n°
140,
l'innovation
dépassée).
Méta-position : aptitude à démentir
Auguste Comte, pour qui "l'il ne peut pas être
à la fenêtre et se regarder passer dans la rue"
(n° 94,
coaching).
Combinée par exemple à un recul sur le modèle
de la pyramide de Maslow, elle permet un regard iconoclaste
sur le marketing (n° 118,
aspirations
contradictoires).
Pensée unique : apanage de ceux qui se
satisfont du 2e degré et restent hermétiques au
3e degré... qu'ils prennent pour du 1er degré
(n° 143,
des
pyramides pour surfer).
Prospective : son père, Gaston Berger,
l'a inventée pour dépasser les démarches
spécialisées des technocrates - puis ceux-ci
l'ont récupérée et dévitalisée...
pour ensuite s'inquiéter de son inefficacité (n°
141,
contre
la prospective).
Sui generis : l'Europe est une construction
d'un genre nouveau, qu'on ne peut comprendre en se limitant
aux références classiques, super-Etat ou
organisation internationale (n° 144, organismes sui generis).
De même pour les réseaux assembleurs (n°
140,
mutation
des marchés) ou la gouvernance (n° 126,
cluster
contre Colbert).
JPQ¶
Voir aussi... >> Mutatio
>> une
mutation "grave" >> une
mutation globale >> un
nouveau regard, de nouvelles pratiques
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