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Tour d'horizon : des décalages à foison |
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Mettre ce qu'on rencontre au format de ce qu'on connaît n'est
pas forcément la meilleure façon de s'ouvrir à ce qui est nouveau,
différent, en rupture. La construction européenne peut en témoigner
qui, un demi-siècle après une innovation majeure, est prise
pour ce qu'elle n'est pas…
Restée pendant des siècles soit une utopie (Platon, Dante,
Erasme, Sully, Hugo…), soit l'enjeu d'affrontements guerriers
(César, Charlemagne, Napoléon, Hitler…), c'est à l'approche
du XXè siècle que l'Europe apparaît comme une nécessité, justifiant
la création d'institutions spécifiques, d'abord dans des domaines
techniques (Unions destinées à favoriser la navigation sur les
grands fleuves, à assurer le trafic postal, à développer les
relations téléphoniques…) puis au plan politique le plus large,
après la 2è guerre mondiale. Les enjeux et objectifs étaient
alors économiques (reconstruire, passer de l'économie de guerre
à l'économie de paix) et politiques (réconcilier, empêcher de
nouvelles dérives). Appliquant ce qu'on connaissait, l'approche
internationale, on a transposé la méthode qui avait réussi dans
les domaines techniques, consistant à créer des organisations
intergouvernementales
: économiques (l'OECE, chargée de gérer l'aide du plan Marshall,
devenue ensuite l'OCDE) et politiques (le Conseil de l'Europe
pour les aspects "civils" et l'UEO pour les questions
de défense).
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Ni national, ni international |
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Nos références sont soit
le champ national, soit l'international
- insuffisants pour appréhender
l'Union. En effet, d'une part celle-ci
relève pour partie du national
et pour partie de l'international ; d'autre
part elle est surtout à la charnière,
à la fois en échelon intermédiaire
et en mixte des deux. Echelon, par exemple
quand elle a autorité pour négocier
une convention internationale au nom des
Européens, pour leur compte. Mixte,
par exemple, quand elle participe à
l'ordre international - économique,
écologique, militaire... - à
la fois à côté des
Etats membres et en leur nom, voire en
position d'autorité vis à
vis d'eux. En d'autres termes, l'Union
n'est ni un Etat ni une institution internationale,
mais un hybride évolué.
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Voir
http://www.algoric.eu/nc/EUnini.htm
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Rapidement, il est apparu que cette approche internationale
avait ses limites. C'est pourquoi, suivant les préconisations
de "l'Inspirateur" Jean Monnet, plusieurs Etats européens
ont décidé le 9 mai 1950 d'aller plus loin. Et surtout de faire
autre chose que ce qu'on connaissait et de le faire autrement.
C'est ainsi qu'est né le concept de "Communauté" européenne,
prélude à une future "Union" européenne : on dépasse
la notion d'organisation internationale de coopération
(où les Etats en tant que tels restent maîtres du jeu) pour
inventer celle d'organisation supranationale d'intégration
(où les Etats participent conjointement à un nouveau jeu, de
nature partenariale, qui les dépasse ou les transcende). Ainsi,
contrairement aux usages établis - selon lesquels les organisations
de coopération sont dotées de larges domaines de compétences
mais de peu de pouvoirs - on inventait un nouveau modèle, en
rupture : des compétences limitées mais des pouvoirs réels.

On a donc quitté l'ordre "international" (entre nations),
sans pour autant rejoindre l'ordre "national", comme
on l'aurait fait en créant un super-Etat au sens classique,
que ce soit sous forme d'Etat unitaire, de fédération ou de
confédération. Car on a imaginé autre chose que ce qui pouvait
exister préalablemment. Sur ces bases, en un demi-siècle, la
formule a progressé, elle s'est affirmée et affinée… mais une
majorité de Français croit encore qu'il s'agit là d'affaires
internationales, tout en admettant implicitement que ce n'est
pas le cas (sinon les débats sur la souveraineté seraient sans
objet), sans se priver de débats théologiques sur le sexe des
anges ou de la fédération… - toutes incohérences dont on ferait
l'économie si l'on prenait l'Union pour ce qu'elle est : une
construction sui generis, un nouveau modèle sans précédent.
En 2007 enfin - signe avant-coureur d'une prise de conscience
plus générale ? - le Conseil d'Etat s'alarme dans son rapport
annuel que l'on "continue à traiter souvent la politique
européenne comme la politique étrangère" ou qu'on ignore
qu'il y a désormais coexistence "entre deux ordres juridiques
qui sont intégrés l'un à l'autre mais pas hiérarchisés".
Sur un terrain aussi généreusement doté en confusions de différentes
natures, qui par surcroît
portent sur plusieurs niveaux d'approche de la complexité, il
est facile de pervertir un peu plus le jeu en saupoudrant
par exemple des phrases idéologiques autour de mots magiques
comme libéralisme ou Europe sociale ! D'autant
que s'y ajoutent, entre autres, quelques pratiques aussi anciennes
que coupables de dirigeants de tous bords, fustigeant la technocratie
de Bruxelles (alors que "Bruxelles" n'aurait
rien pu décider sans leur aval) et allant jusqu'à en faire le
bouc émissaire de tout ce qui va mal, ou au moins de tout ce
qui requiert des décisions impopulaires. Plus tard, c'est en
toute sincérité que les mêmes s'étonnent de n'être pas suivis
dans leur invitation à ratifier un traité visant à renforcer
ce système…
Au menu du livre Les pieds ici... la tête
là ? - chapitre 2 :
Des développements et illustrations à partir de cet exemple
- et de bien d'autres - permettront d'évoquer la diversité des
composantes de la confusion ambiante. Ainsi que la variété et
la portée des décalages entre ce dont on parle et ce dont il
s'agit. Décalages qui reposent sur ce qu'on pourrait nommer
le paradigme du putatif - au sens où les juristes
emploient ce terme pour désigner ce qui est réputé être ce qu'il
n'est pas en réalité.
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a.
Une multitude de lignes de
fuite… sur plusieurs niveaux
b.
Trois nœuds et leurs catalyseurs
c.
Des signaux faibles, des tendances
lourdes… et surtout des problématiques
d.
Toutes les références sont
concernées : repères, processus, paradigmes
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