CONCLUSION
Nous avons besoin d'institutions
qui ne se trompent plus sur le niveau de complexité
qu'elles ont à traiter ni sur la nature des besoins
et aspirations à satisfaire. C pas sorcier, mais faut
s'en OQP au lieu de rêvasser devant la télé
sopo. Au-delà des actions de gestion, il faut des actions
de clarification et de sensibilisation... [Voir résumé] |
Fermement convaincu que nous vivons une période de transition
globale entre deux "états" de la société,
je suis conscient du caractère discutable de certaines
appréciations, à commencer par l'identification
de la "socio-culture" ou celle des "technologies
combinatoires". Elles sont contestables, car ce sont des
interprétations personnelles. J'espère même
qu'elles seront contestées, puisque "de la discussion
jaillit la lumière"... Ce qui est important, c'est
que, quelles qu'en soient nos perceptions, nous connaissons des
changements et nous vivons des situations nouvelles qui nous obligent
à améliorer le fonctionnement des institutions à
partir d'une interrogation sur les finalités de l'action,
qui passe par une réflexion sur les relations entre
personnes et organisations. Car nous avons besoin d'institutions
qui ne se trompent plus sur le niveau de complexité qu'elles
ont à traiter ni sur la nature des besoins et aspirations
qu'elles ont à satisfaire.
Ces situations nouvelles ont une signification profonde qui
dépasse leurs manifestations technologiques, économiques
ou institutionnelles : elles concernent fondamentalement les personnes,
qui sont capables et avides d'un progrès de civilisation.
C'est pourquoi cette réflexion sur les relations entre
personnes et organisations est essentielle, si elle peut permettre
de mieux harmoniser la recherche de l'abondance matérielle
et la promotion de la personne. Et les domaines les plus affectés
par les turbulences actuelles sont précisément ceux
dans lesquels nous avons aujourd'hui les moyens de concevoir la
création d'une plus grande valeur ajoutée économique
et sociale : éducation, santé, information, activités
de temps libre...
Pour les développer, les institutions ne peuvent se contenter
d'actions de gestion, consistant à mettre en uvre
des moyens. Un progrès peut déjà être
réalisé à ce stade par la mise en valeur
des ressources en énergie, temps et information telles
qu'on les a envisagées. Mais préalablement il importe
d'engager des actions de clarification : utiliser ces moyens
en fonction d'objectifs clairement définis et adaptés
à la réalité des situations - c'est-à-dire
d'abord aux aspirations des personnes et à la complexité
des niveaux d'organisation. Ce qui suppose pour les différents
systèmes et sous-systèmes qui composent l'organisation
sociale, la formulation de finalités qui soient claires
et cohérentes entre elles. Ce qui suppose aussi, plus largement,
des actions de sensibilisation qui consistent avant tout
en un effort "pédagogique" de diffusion des règles
simples mais essentielles qui caractérisent la méthode
de l'innovation sociale.
Si ces règles sont simples, elles sont cependant "subversives"
par rapport aux systèmes d'éducation tels qu'ils
sont actuellement conçus... Or l'enjeu est de taille !
Montesquieu l'a formulé avec force (sous réserve
peut-être de l'aspect manichéen des notions de "bien"
et de "mal") dans sa préface à "De
l'Esprit des Lois" : "dans un temps d'ignorance, on
n'a aucun doute, même lorsqu'on fait les plus grands maux
; dans un temps de lumière, on tremble encore lorsqu'on
fait les plus grands biens. On sent les abus anciens, on en voit
la correction ; mais on voit encore les abus de la correction
même. On laisse le mal, si l'on craint le pire ; on laisse
le bien, si on est en doute du mieux. On ne regarde les parties
que pour juger du tout ensemble ; on examine toutes les causes
pour voir tous les résultats (...) . Je me croirais le
plus heureux des mortels, si je pouvais faire que les hommes pussent
se guérir de leurs préjugés. J'appelle ici
préjugés, non pas ce qui fait qu'on ignore de certaines
choses mais ce qui fait qu'on s'ignore soi-même". Est-ce
un hasard si dans l'univers orwellien de "1984", le
maître suprême, "Big Brother", a imposé
pour slogan : "l'ignorance, c'est la force" ?
Finalement, s'agit-il d'autre chose que de promouvoir ou réhabiliter
la nécessaire réflexion qui doit précéder
et accompagner l'action ? Ou encore de retrouver la simplicité
originelle de l'interpellation socratique ? En effet, alors
que chacun vaque à ses occupations, exerce ses "compétences",
Socrate aborde un homme en ces termes : "Arrête-toi,
mon ami, et causons un peu. Non d'une vérité que
je détiendrais, non de l'essence cachée du monde
; mais de ce que tu allais faire quand je t'ai rencontré.
Tu croyais cela juste, ou beau, ou bon, puisque tu allais le faire
; explique-moi donc ce que c'est que justice, beauté, bonté...".
JPQ - août 1982.
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