L'accueil en relais est-il cher,
voire trop cher, ou est-il rentable ? Cette simple question
en appelle bien d'autres, en cascade : comment mesurer le
coût et la rentabilité effectifs d'un dispositif émergent,
trop récent pour permettre des réponses assises sur une
masse critique significative ? De quel type de coûts parle-t-on
? Payés par qui ? Au bénéfice de qui ? D'ailleurs, comment
s'articulent les différents rôles : prescripteur, décideur,
bénéficiaire, prestataire, payeur ? A l'instar de Woody
Allen ("la réponse est oui... quelle était la question
?"), on s'intéressera moins au contenu formel
de la question qu'à sa portée profonde (voir chapitres
suivants).
Il faut éviter les réponses simples
(simplistes) face au foisonnement de questions complexes,
de même qu'on se gardera de succomber à la tentation de
tout quantifier - c'est tellement réconfortant de savoir
que ça coûte 200 ou que ça rapporte 500, même si les chiffres
n'ont aucune valeur, car ce qui compte se "mesure"
autrement !
De plus, nous sommes ici dans
une méta-étude (qui se fonde sur l'exploitation de matériaux
existants), or la rentabilité des services qui nous intéressent
a donné lieu à peu de travaux approfondis ; et les éléments
disponibles sont disséminés dans diverses études traitant
d'aspects connexes.
Enfin, il faut souligner le caractère
approximatif de ces éléments. S'agissant d'un service dont
la plus grande valeur est qualitative, on ne peut se contenter
de raisonnements ou d'unités qui se bornent à mesurer des
coûts et avantages quantifiables – autrement dit, quelle
est l'unité de compte qui mesure le progrès de civilisation
? Pourrait-on se satisfaire d'une approche qui voit un appauvrissement
dans un congé sabbatique ou parental (car statistiquement
il diminue le PIB, même s'il permet de développer un projet
ou d'autres valeurs non mesurées) et qui considère un accident
de la route comme un enrichissement (car il augmente ce
même PIB... quels que soient par ailleurs ses coûts non
mesurés) ?
Une caractéristique élémentaire de la démarche prospective
est précisément de s'employer à dépasser la pensée comptable[2].
Zoom...
[cf. http://www.algoric.com/y/m2k03.htm
] |
Le bonheur national brut
(...) autre aspect de la crise
de la valeur ajoutée : les indicateurs statistiques
retenus par les différents systèmes économétriques
donnent une vision partielle et déformée
de la réalité. Dénoncer la non-pertinence des
agrégats des comptabilités nationales est même
devenu un lieu commun. Sans aller jusqu'à substituer
la notion de "bonheur national brut"
à celle de "produit national brut",
on peut déplorer que les accidents automobiles
accroissent ce dernier, qui inversement ne décompte
pas ce qui relève de l'économie non-marchande.
Les "facteurs de production" ne sont
pas appréhendés de façon satisfaisante : les
tâches domestiques ne sont pas comptabilisées
en tant que travail, seul le capital représenté
par les appareils ménagers étant pris en compte...
mais en tant que biens de consommation.
On raisonne en termes de flux
- certaines données n'étant pas intégrées alors
qu'elles devraient l'être, d'autres étant comptabilisées
comme profits, produits ou revenus alors qu'il
s'agit de désinvestissements, désutilités ou
pertes - sans prendre en compte la dynamique
des relations entre acteurs de l'économie.
Que dire de la réduction des ménages à la seule
fonction de consommation, lorsqu'on assiste
à un développement considérable du bricolage
et d'autres formes d'autoproduction ?
La traditionnelle classification
des activités en trois secteurs (agriculture,
industrie, services) est elle-même contestable.
Car on observe une "horizontalisation"
des fonctions à travers les trois secteurs -
et on ne dépassera pas cette vision devenue
trop sommaire en évoquant un secteur "quaternaire"
(gestion, informatique, marketing, recherche,
ingénierie, etc.). Il faut en effet tenir
compte du caractère à la fois évolutif et dépendant
des services. Evolutif, car il se crée constamment
de nouveaux services, mais aussi, par exemple,
parce que certains services sont remplacés par
des produits industriels : la réparation automobile
par des échanges standards de pièces ou composants,
la préparation pharmaceutique par des médicaments
fabriqués en série ou la blanchisserie par les
machines à laver individuelles. Dépendant, car
de nombreux services intègrent dans leur valeur ajoutée une part importante de produits industriels
: l'avion pour les transports aériens, les équipements
téléphoniques pour les télécommunications, les
appareils radiologiques, opératoires ou autres
pour la santé. Et parce que les services constituent
le nécessaire accompagnement ou complément des
activités industrielles.
Par ailleurs, ce n'est plus
le consommateur final qui joue le rôle essentiel
dans les échanges. Ce sont les échanges entre
entreprises et avec les différents systèmes
"logistiques" (de transport, de distribution,
d'énergie, d'information) et services publics
(éducation, santé, culture, défense) qui constituent
une part croissante d'un marché où non seulement
la place des services tend à devenir prépondérante,
mais encore où les rôles des différents acteurs
ne peuvent plus être réduits à une seule fonction
: conception ou production ou
transformation ou distribution ou
consommation.
En résumé, que l'on se réfère
aux théories économiques "de l'offre"
ou "de la demande", on tend à réduire
le système économique à un marché où se rencontrent
des producteurs et des consommateurs, alors
que d'une part, il y a des marchés ("marché"
humain, marché financier, marché des matières
premières, marché des biens et services...)
et que, d'autre part, le producteur et le consommateur
final s'insèrent dans des systèmes d'une
complexité croissante : quelle est la signification
réelle de la production et de l'achat d'un téléviseur,
ou du paiement d'une redevance annuelle, par
rapport au volume d'informations transmises,
non comptabilisées, ou à l'importance du système
de communication mis en œuvre, avec ses supports
techniques, de l'émetteur à l'antenne en passant
par les relais et satellites... sans compter
la complexité du jeu des acteurs économiques
(quel est "l'offreur" et quel est
"le demandeur" du satellite ?).
Ainsi
que le souligne le rapport Interfuturs [OCDE],
"nos classements en biens et services
sont très mal adaptés aux sociétés postindustrielles.
Nous manquons de concepts - et a fortiori des
données statistiques - nécessaires pour analyser
correctement la transformation des consommations,
l'évolution de la nature des emplois"...
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Ecrit en 1982[3],
ce texte reste d'une actualité confondante, même si l'on
a pu procéder à quelques réelles avancées, comme la généralisation
du bilan social ou des indicateurs de développement humain
(IDH)...
[2]
Cf. annexe 4, Le coût de l’enfant et le coût de la "non-famille".
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