Etant elle-même "autre",
la prospective trouve difficilement sa place dans notre
univers mental, qui reste organisé de façon
traditionnelle en référence à des disciplines,
alors qu'elle est une indiscipline (cf. M. Godet)
et qu'elle se veut pluridisciplinaire et transdisciplinaire
Pour ne rien simplifier, elle s'inscrit dans un des champs
de la connaissance et de l'action, celui du savoir-voir,
souvent mal pris en compte faute d'être reconnu comme
une catégorie à part entière. Pour
réparer cette grave injustice, le schéma ci-dessous
lui restitue ses titres de noblesse.
|
On peut organiser ces champs autour de
deux axes : l'un, vertical, allant du conceptuel à
l'opérationnel, de la théorie à la
pratique ; l'autre, horizontal, allant de la certitude au
doute, de la connaissance réputée établie
à la mise en question. Les quatre champs ainsi découpés
sont ceux des langages (appris), des pratiques (exercées),
des relations (en face ou avec) et des visions (projections)
ou, plus simplement, du savoir, du savoir-faire, du savoir-
être et du savoir-voir.
Que ce soit dans le management ou la formation,
ce n'est que progressivement qu'on s'est ouvert à
la partie droite du schéma, c'est-à-dire surtout
au savoir-être - notamment avec l'essor du développement
personnel puis l'engouement pour certaines formes de coaching
- même s'il reste beaucoup à faire, notamment
en matière d'intelligence collective : processus
coopératifs, travail en réseau, relations
partenariales
Quant au savoir-voir, il reste le parent
pauvre, alors que c'est lui qui a vocation à donner
un sens à l'action : un sens "signification"
par la vision prospective (comprendre son environnement
actuel et futur, y situer ses propres champs des possibles)
et un sens "direction" par la vision stratégique
(se donner les moyens d'atteindre les positions visées,
de suivre les trajectoires choisies).
Centrée sur la vision prospective,
avec de larges incursions du côté de la vision
stratégique et de l'intelligence collective, la démarche
prospective est dans cette zone qui, à la charnière
du savoir-voir et du savoir-être, reste encore trop
négligée alors qu'elle répond à
de réels besoins : besoin de visibilité dans
les turbulences actuelles, mais aussi besoin de cadrage
de l'action d'un nombre considérablement accru de
managers, avec le passage du management prescrit au management
situationnel.
 |
Dans un univers complexe, mouvant, ouvert,
le savoir-faire est-il concevable sans de solides savoir-voir
et savoir-être ? De même que la stratégie
n'est plus l'apanage des stratèges, la prospective
n'est plus le domaine réservé des prospectivistes,
car l'une et l'autre doivent être déployées
à tous les niveaux de l'entreprise. Alors, à
l'instar du "Hâtons-nous de rendre la philosophie
populaire !" de Diderot, clamons bien fort : "Hâtons-nous
de rendre la prospective populaire !" Le parallèle
pourrait d'ailleurs être prolongé, si l'on
considère que la démarche prospective est
pour les institutions ce que la démarche philosophique
a été pour les individus*
* Ce parallèle n'est
établi ici qu'au plan de la démarche, car en
termes de contenus, on peut au contraire considérer
que la prospective - pour qui l'avenir est domaine de liberté,
de pouvoir et de volonté - s'oppose à certaines
philosophies déterministes reposant sur l'idée
d'un système dont l'homme ne serait qu'un sujet (cf.
H. de Jouvenel, document 4 : "Bonnes
feuilles"). |