article de Jean-Pierre Quentin pour CRC-Actualités (oct. 95) (v2 . extraits) | Pratique du lobbying |
.. Lobby or not to be. |
L'entreprise n'est plus définie par ce qu'elle produit, mais par la façon dont elle organise et gère ses relations internes et externes. Charles Goldfinger |
Si le lobbying existe depuis toujours, son importance stratégique est en plein essor. En raison du poids croissant de l'environnement institutionnel... mais aussi en liaison avec la mutation des pratiques managériales. Les approches, méthodes et outils du lobbying s'adaptent aux changements en cours.
L'avenir de l'entreprise est conditionné par des processus législatifs et réglementaires auxquels il faut participer, son activité se développe au sein de réseaux d'influence qu'il importe de connaître. Le lobbying permet d'agir sur ce faisceau de relations complexes : dans un sens, par la connaissance des interlocuteurs, de leurs intentions, projets ou stratégies ; en sens inverse, par l'influence exercée sur eux. Cette prise de conscience est aussi le fait d'autres groupes de pression comme les syndicats, les écologistes, les consommateurs... à commencer par les autorités publiques elles-mêmes.
Qu'est-ce que le lobbying ? Renonçant à enfermer entre quatre mots une réalité complexe, multiforme et mouvante, on ne tentera pas de donner ici la définition qui rendrait caduques les précédentes mais on esquissera ses contours en quelques traits, sur une trame adaptée de ma conclusion d'un audit réalisé il y a quelques années :
Un seul rouage manque... et rien ne tourne Monsieur Jourdain peut-il faire du lobbying sans le savoir ? Non. Car s'il peut spontanément faire bien, ou très bien, une partie du chemin, le plus souvent il oubliera quelque chose et son action restera inopérante - par manque de cohérence ou omission d'un élément déterminant dans la démarche, dans la méthode ou dans la mise en uvre des instruments. Ainsi, alors que je rédigeais un article sur le lobbying des PME, j'ai trouvé dans la presse une illustration qui, pédagogiquement, m'intéressait par sa simplicité. A partir des éléments dont je disposais, j'ai écrit le texte suivant :
Ensuite, j'ai téléphoné au responsable de cette action pour m'assurer de la pertinence de mon analyse. Entrée en matière : j'écris un article sur le lobbying, dans lequel je veux parler de vous Réaction : un article sur quoi ? C'était bien Monsieur Jourdain. Puis je lis mon texte : rien à retrancher, au contraire, je ne savais pas que nous étions si forts, etc. Puis nous discutons sur la base de quoi j'ai ajouté une phrase à mon article : "Reste à démultiplier l'action via des porte-voix influents : autorités académiques, mouvements écologistes, etc." Un seul rouage manque et toute cette belle machine tourne à vide : constatant qu'il n'avait rien obtenu parce que son organisation ne faisait pas le poids, mon interlocuteur s'était résigné - alors qu'au point où il était arrivé, il ne restait qu'à transformer l'essai ...
Un environnement institutionnel incontournable A l'échelle nationale et, de plus en plus, à l'échelon territorial (région, département, intercommunalité, commune), l'entreprise dépend de son environnement institutionnel : les pouvoirs publics interviennent non seulement dans leurs rôles classiques de réglementeurs, d'autorités de tutelle ou de collecteurs de taxes, mais aussi dans des rôles constamment renouvelés d'acteurs du jeu économique : clients, partenaires, apporteurs de subsides voire d'affaires, parfois fournisseurs... ou même concurrents. De plus, ces rôles sont tenus par diverses institutions : les assemblées élues et les administrations, certes, mais aussi des associations, sociétés d'économie mixte, agences et autres organismes publics ou semi-publics, voire privés. Il convient à la fois de les identifier, de comprendre leurs missions, structures, modes de fonctionnement, de savoir où est l'information, de détecter les vrais décideurs et de connaître les voies et moyens permettant d'établir et d'entretenir des partenariats utiles... et non équivoques. Mais c'est désormais plus encore à "Bruxelles" - c'est à dire aussi Strasbourg et Luxembourg - que se prennent les principales décisions économiques et sociales concernant l'avenir de nos entreprises. Leur avenir à moyen-long terme, quand il est question de réglementations générales portant par exemple sur le droit des sociétés, la fiscalité, le domaine social ou l'environnement. Mais aussi leur avenir plus immédiat, quand il s'agit de dispositions visant plus spécifiquement certaines entreprises ou activités : normes, droit de la concurrence et de la consommation, négociations commerciales internationales, coopération inter-entreprises, concours financiers, développement régional, etc... Ces décisions sont celles des pouvoirs publics européens : Commission, Conseil des Ministres, Parlement et autres institutions de l'Union européenne. C'est également tout un faisceau d'accords, d'alliances, de partenariats qui se tisse entre entreprises (européennes ou non), organisations professionnelles, collectivités locales, associations, experts et groupes de pression de toutes natures. A "Bruxelles" comme ailleurs, l'entreprise doit s'intéresser à ce qui se prépare et même, dans la mesure du possible, l'initier - si elle ne veut pas subir des décisions prises sans elle, voire prises contre ses intérêts qu'elle n'aura pas su faire valoir. Elle doit s'insérer dans ces réseaux qui façonnent son avenir. Qu'elle le fasse individuellement ou collectivement (via des organisations professionnelles ou autres associations) ; directement (depuis son siège ou par une représentation sur place) ou indirectement (par l'intermédiaire de relais) - ou mieux, à la fois de façon directe et indirecte - elle doit donc comprendre le jeu (européen, territorial ou autre), respecter ses règles et connaître les acteurs, de plus en plus variés, qui y participent .
Le lobbying complète et renouvelle l'Art du Management... Selon M. Noël Goutard, président de Valéo, les voitures deviennent inusables sur le plan mécanique. De plus en plus, l'usure sera perçue par rapport aux nouvelles normes et aux attentes du client - et ce n'est pas vrai que pour les voitures ! Les entreprises ont assez largement intégré les impératifs d'anticipation sur les attentes du client, d'invention de nouveaux marchés, etc. Elles négligent encore trop ceux d'anticipation sur les futures normes, a fortiori ceux de création de ces normes : là aussi, mieux vaut agir que subir... Ces évolutions justifient l'intérêt croissant que suscitent la veille stratégique, technologique ou concurrentielle, le benchmarking et autres déclinaisons de l'intelligence stratégique, c'est à dire la maîtrise globale des flux d'information, orientée vers l'action. Le lobbying en est une dimension essentielle à la fois parce qu'il met en uvre les techniques les plus avancées de monitoring (veille "active", et pas seulement "passive"), mais aussi parce qu'il traite en termes stratégiques et opérationnels les informations issues de l'intelligence stratégique, il les traduit en actions. C'est ainsi que le champ d'application des méthodes et instruments du lobbying ne s'élargit pas seulement du fait de l'accroissement des interventions des pouvoirs publics. Il s'élargit aussi à des situations de type relation commerciale où des entreprises sont les cibles d'actions de lobbying. Par exemple lorsque le vendeur fait exercer sur l'acheteur une influence par des élus, par une administration, par l'opinion publique via la presse... évoquant des enjeux de santé publique, d'écologie, voire de développement local ou de concurrence déloyale. On se trouve ainsi en présence de frontières dont les tracés sont délicats. Celles bien sûr de l'acceptabilité de certaines pratiques - d'où l'importance du respect de la légalité, de la légitimité et de la déontologie : les méthodes bananières ne doivent en aucune façon être considérées comme relevant du lobbying. Une autre frontière sépare celui-ci d'une démarche commerciale classique : rappelons simplement que le lobbyiste ne fait pas de coups (sauf s'ils s'inscrivent dans une stratégie globale), mais agit dans la durée ; qu'il n'improvise pas (sauf dans un contexte bien préparé), mais anticipe. Plutôt que de lobbying de court terme ou lobbying d'opportunité, il s'agit simplement dans ces cas d'action commerciale. Dernier exemple, la frontière avec les relations publiques ou la communication institutionnelle : le lobbying s'en distingue par sa finalisation plus poussée. C'est bien un instrument de communication stratégique. Plus fondamentalement, ses caractéristiques synthétisent ce que requiert notre période de mutation, faite d'instabilité et d'incertitude : cohérence et rigueur stratégiques et opérationnelles, maîtrise de la complexité, logique de projet, fonctionnement en réseau, mise en uvre d'alliances, animation et négociation, ouverture et interculturalité, imagination et créativité pour non seulement faire plus et mieux que les autres mais, à partir d'un autre regard, faire autre chose et le faire autrement... J.P.Q. |
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