|
Une condition de l'innovation
: l'ouverture interculturelle. Comment l'aborder ?
L'interculturel, ce n'est pas simplement l'international. On le
rencontre au quotidien et il prolifère, dans un univers différencié
où tout est rencontres, transactions, brassages. Le polyglotte s'adapte
aux langages de ses interlocuteurs ; à l'opposé, beaucoup parlent
volapük - langage simplifié mais unique, en principe commun. Un
équilibre est à trouver entre ces approches extrêmes.
Melting-pot multilingue, bébés
Maginot ou bouillie espéranto ?
Quelques polyglottes sont à l'aise sous les lambris d'un ministère,
face à la télévision, dans une cour de ferme, au cœur d'une négociation
multilatérale, en tête d'une manifestation, dans un bras de fer
en anglais texan, voire dans une cellule de prison... mais n'est
pas José Bové qui veut !
D'autres, plus nombreux - avec quelle efficacité ? - préfèrent le
langage unique, qui à l'extrême se résume en "je me comprends, donc
ils me comprennent". Ensuite les choses sont déroutantes, incompréhensibles,
imprévisibles, donc on stresse. On pourrait chercher à comprendre,
mais le réflexe est plutôt d'accuser les autres, l'époque ou la
fatalité. Traduction : se protéger, se replier, se fermer. Face
à "une majorité d'étrangers", il faudrait organiser un faisceau
de relations à base d'ouverture, d'écoute, d'échange, de partage,
de productions communes. Mais il est plus "naturel" d'édifier quelques
Lignes Maginot. Rappelons que face aux panzers, la méthode Maginot
a été encore moins efficace que la méthode Ogino face aux spermatozoïdes
!
Quand la peur du différent l'emporte sur l'attrait du complémentaire,
"qui se ressemble s'assemble". Pourtant, ceux qui ont connecté divers
appareils savent que ça marche plutôt mieux en reliant mâle et femelle
qu'en essayant d'assembler entre elles des fiches identiques : indépendamment
de toute considération éthique ou esthétique, l'association d'éléments
complémentaires apparaît plus fructueuse. Sinon, on devra reproduire
l'espèce par clonage... en renonçant à l'améliorer. Il en va de
même dans l'univers économique et social.
Un autre langage unique réduit tout aux aspects les plus simples
ou visibles. Comme l'espéranto, le langage est abrégé à l'extrême
pour que tous se comprennent sur quelques notions élémentaires.
Malheureusement, c'est justement sur les aspects plus complexes
qu'on a besoin d'échanger ! Donc d'écouter, de proposer, de composer...
Forme la plus courante de cette bouillie de cultures : "on s'en
tient aux faits", on se polarise sur les aspects techniques qui,
eux, n'ont pas d'états d'âme ! Puis on s'étonne que les autres ne
comprennent rien et ne nous suivent pas...
Chocs de cultures
Il faut donc non seulement faire preuve d'empathie, se projeter
dans la peau des interlocuteurs, mais le faire en changeant de culture
ou de logique de référence. A Bruxelles, un Grec doit "penser comme
un Danois" et réciproquement. Tout lobbyiste raisonne en référence
aux diverses logiques techniques, managériales ou politiques de
nombreuses parties prenantes. Autres chocs de cultures : le directeur
d'usine face à un élu, le financier face à un militant associatif,
le commercial face à un technicien, le macho face à une femme, etc.
L'interculturalité suppose aussi l'ouverture à de nouveaux repères
conceptuels. Aborder une relation partenariale (co-traitance...)
avec les repères de la relation contractuelle (sous-traitance...)
conduit sûrement à l'échec.
Plus profondément encore, plus désastreux aussi, le refus du principe
même de l'interculturalité. En Afrique, en Palestine, en Europe
centrale, où des peuples cohabitent difficilement, on choisit la
facilité en leur attribuant des territoires étanches, alors que
leur problème est d'apprendre à vivre ensemble : on a besoin d'un
décloisonnement des mentalités et on complique tout en cloisonnant
des territoires !
Qui n'a jamais refusé d'écouter des collaborateurs ou partenaires,
simplement parce qu'ils étaient culturellement dissidents ou dérangeants...
alors qu'ils apportaient probablement du sang neuf ?
Décloisonnez-vous !
A l'heure de la gouvernance, le défi est clair : il faut se décloisonner
et trouver le subtil équilibre entre un multilinguisme inaccessible
et un espéranto réducteur. Défi avant tout culturel, s'agissant
de cultiver un état d'esprit ; le reste est affaire de méthode.
Cette méthode recherche en permanence l'ouverture sur trois dimensions.
Dimension "objective" : élever son niveau d’autonomie et
de rigueur, pour mieux interagir avec un environnement complexe
et mouvant. Dimension "subjective" : élever son niveau de
curiosité et de créativité (le cerveau droit), pour oser
aller au différent, expérimenter, innover… Dimension "relationnelle"
: élever son niveau de responsabilité et de solidarité, pour mieux
travailler avec d'autres, en interne (groupe) et en externe (partenariat).
A. Maslow a étudié des Spinoza, Lincoln, Einstein, Eleanor Roosevelt
et autres personnalités ayant fait un usage exceptionnel de leur
potentiel. Traits communs : capables de tolérer l'incertitude, spontanés
en matière de pensée et d'initiative, centrés sur le problème plutôt
que sur leur intérêt personnel, ils résistent à l'endoctrinement
sans être "anticonformistes par principe", ils établissent des relations
satisfaisantes avec peu de gens plutôt que superficielles avec beaucoup,
ils gardent un point de vue objectif, ils sont préoccupés par le
bien-être de l'humanité, ils comprennent en profondeur les multiples
expériences de la vie, ils ont un bon sens de l'humour...
Jean-Pierre Quentin est consultant, professeur et auteur. Intervenant
dans des situations complexes, dans des contextes de changement,
il aide à décloisonner les relations et à imaginer le futur.
Les thèmes de cette chronique sont développés dans un article
plus complet : "Multilinguisme ou espéranto ?". Lire l'article
(c) Jean-Pierre Quentin http://www.algoric.com/
|
|